PLUIE DE JOIE

30 Mai 2016

Une interview sans tabous avec Patricia Delmée

L’art de communiquer avec son enfant

Patricia Delmée partage son expérience d’une communication singulière et riche avec sa fille Fiona, IMC, décédée à l’âge de 16 ans.

Tu as écrit un livre témoignant de ta relation avec ta fille IMC, disparue. Qu’est-ce qui t’a motivée à te lancer dans cet exercice particulier de l’écriture ?

J’ai commencé à écrire les premiers chapitres de ce livre, qui ne portait pas de nom à l’époque, il y a une dizaine d’années, avant le décès de Fiona. Je voulais raconter l’évolution d’une enfant IMC, sachant que chaque enfant est unique et n’évolue pas de la même manière. Je voulais aussi casser le côté dramatique et triste que je lisais dans beaucoup de regards que nous croisions ou dans certaines réflexions. J’étais lasse d’entendre que j’étais une maman courageuse et exemplaire, ça laissait entendre que d’avoir un enfant handicap était quelque chose d’invivable. Je voulais raconter la richesse de notre vie malgré ses difficultés, et cet amour sans limite. Puis j’ai laissé ces premiers chapitres dans un tiroir pour les ressortir quelques années après le décès de Fiona. Toujours dans la même optique de témoigner sur la richesse de notre vie, mais aussi de parler de sa méthode de communication que je détaille dans le livre, et qui lui a permis d’accéder à l’inaccessible, c’est à dire la communication écrite.

Pourquoi as-tu choisi comme titre “Pluie de Joie” ?

« Pluie de joie » était une des nombreuses métaphores que Fiona a utilisé lorsqu’elle a commencé à communiquer avec son clavier. Chaque belle émotion qu’elle voulait partager commençait par le mot « pluie ». Pluie de bonheur, pluie de joie, pluie de sourires. Elle utilisait des mots simples, des phrases sans aucune fioritures qui allaient à l’essentiel. « Pluie de joie » c’est une explosion de joie, ou au contraire une joie qui nous tombe dessus tout doucement et nous fait du bien. Je ne sais pas, chacun le ressent à sa manière. Notre vie ensemble a été une « pluie de joie » avec ses peines et ses souffrances aussi, mais aussitôt balayée par une nouvelle « pluie de joie ».

Peux-tu nous parler de Fiona ?

Fiona est née IMC avec une atteinte motrice sévère. Elle était totalement dépendante physiquement, mais cela ne l’empêchait pas d’avoir du caractère et d’être déterminée. Au fil des années, elle a énormément évolué intellectuellement et également au niveau moteur, tandis que sa santé s’est détériorée peu à peu. Malgré tout, elle a toujours gardé sa force de caractère, son humour, et sa sagesse d’esprit. Elle ne voulait pas faire de peine autour d’elle alors, elle oubliait ses maux et pensait avant tout aux autres. « Il ne faut pas penser à soit mais aux plus fragiles pour donner trésor universel » a été une de ses phrases qui m’ont le plus marquée.

Au delà du handicap, tu nous montres que le langage n’est pas la seule façon de communiquer. Comment communiquais-tu avec Fiona ?

Dès son plus âge, nous avons communiqué par le regard. Elle arrivait très bien à se faire comprendre uniquement avec ses yeux et les mimiques de sa bouche. Et puis, si elle n’était pas contente du tout, elle avait d’autres moyens de nous le faire savoir : le son ! Au fil des années, ses regards, ses mimiques, ses tensions des mains ou des jambes, la position de sa tête sont devenues nos outils de communication. Mais ça restait tout de même assez limité pour les détails. Puis, à l’IME, elle a appris à utiliser les pictogrammes. C’était assez compliqué mais nous les avons utilisés pendant des années, même si, en définitive, nous continuions à mieux la comprendre avec le langage des yeux et du corps. J’ai beaucoup stimulé Fiona, je lui ai appris tout ce que je pensais qu’elle était en capacité de comprendre, l’espace, les couleurs, le temps, l’alphabet. L’IME a aussi beaucoup travaillé avec elle dans ce sens, sans jamais la mettre en situation d’échec.

A 14 ans, une de ses éducatrices m’a proposé de lui faire essayer une méthode de communication avec un clavier, dont l’apprentissage est assez fastidieux et long. Après un certain temps, Fiona a commencé à répondre à des questions par le OUI et le NON, puis à taper des lettres, des mots, et enfin des phrases…Ça a été un bouleversement total dans notre vie. L’IME a été formé à cette méthode et quelques autres enfants ont pu en bénéficier.

Dans ton récit, tu mets en avant la relation très forte entre ta fille et toi. Comment peut-on positiver et savourer chaque instant quand on fait face au handicap, aux problèmes administratifs, à l’incompréhension des autres ?

Je crois que c’est uniquement l’amour qui est le moteur de cette force. Cet amour qui nous rend indestructibles, inépuisables, prêts à tout pour notre enfant.

Je disais souvent que le handicap serait si simple à vivre s’il n’y avait pas tous ces nombreux « à côté » qui viennent ternir le tableau. Les problèmes administratifs en font partie, c’est quelque chose qui se répète et qui met les nerfs à rudes épreuves. C’est une réalité. Quant à l’incompréhension des autres, elle est douloureuse. Quel parent n’a pas le sentiment désagréable que son enfant compte pour du beurre ? Il faut parfois discuter avec les autres pour combler l’ignorance du handicap ; ce n’est pas simple mais chaque mot peut changer le regard. Et les réfractaires sans coeur, il suffit de leur faire un pied de nez et de passer son chemin. Il y a tant d’autres personnes, dans chaque entourage, pleines d’empathie, de bon sens et de coeur. C’est à ceux là qu’il faut penser.

Fiona est décédée il y a maintenant 8 ans. Qu’as-tu envie de dire aux parents qui vivent cette situation ?

J’ai envie de leur dire qu’il n’y a aucune règle à suivre dans le deuil. Chaque parent doit faire ce qu’il pense être le mieux pour lui et non pas pour les autres. Ce qui m’a aidé personnellement, c’est d’écrire, non pas mon livre, mais d’évacuer mes souffrances sur un papier, parfois juste pour moi-même. Et de parler. J’y suis aller à mon rythme. Mais surtout, ce que j’ai envie de dire au delà de tout autre discours inutile, c’est qu’il n’y a aucune honte à avoir encore du chagrin des années après. Il vient, il repart, il revient, et peu à peu on s’habitue à sa présence. Il n’empêche pas d’être heureux.

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